Les fleuves naissent de la terre qu’ils traversent. Chemins d’eau, ils structurent l’espace, délimitent des territoires et deviennent parfois frontières. Nourriciers, les fleuves attirent les populations qui s’installent sur leurs rives, ils transportent hommes et marchandises jusqu’au point de jonction avec le grand large que sont les estuaires et leur port. Y naviguer nécessite une batellerie diversifiée adaptée aux lieux, aux usages. Essentiel à la vie quotidienne, point de repère, le fleuve est dessiné, cartographié.
Des repères immuables
Sur les cartes anciennes, la représentation des fleuves est incontournable. Structurant le paysage, les fleuves délimitent des espaces, sont points de repère.
11e siècle - Beatus a Liebana
Beatus a Liebana est un moine du nord de la Péninsule Ibérique qui vécut dans la seconde moitié du VIIIème siècle. On lui attribue le « Commentaire à l’Apocalypse » d’où est extraite la « Mappa mundi » présentée ici. Plusieurs copies de ce manuscrit ont été réalisées dont une commandée par Grégoire de Montaner pour l’Abbaye de Saint-Sever dans les Landes vers 1060.
Le Beatus de Liebana place la « Wasconie » entre la Garonne (fl. Garronna) et les Pyrénées. La « Wasconie » est traversée par un fleuve, l’Adour, repère au bord duquel l’abbaye de Saint-Sever occupe une place importante.
16.. - Description exacte et particulière des côtes et havres de Bayonne
Les fleuves prennent une place particulière lorsque l’on regarde la terre depuis la mer. Leur embouchure annonce de probables abris (baies et rias), ports où jeter l’ancre. Le fleuve signale la présence d’une activité économique.
Sur cette carte, nous repérons trois embouchures de l’Adour : Vieux Boucau, Boucau de Diou et Boucau Neuf. Les deux premières débouchent sur l’ancien lit de l’Adour dont le cours est fermé par un barrage de bois, pachère en gascon ici écrit Pacherre. Seul le Boucau neuf permet l’accès au fleuve et à la ville de Bayonne.
Au sud de l'Adour, les havres des baies de Saint-Jean-de-Luz [St Jean de Lux], Saint-Sébastien [S. Sebast] et Zumaia [Cumaya] ; les havres des ria de Fontarabie [Funtarabie], Pasaia [Le Passage], Orio.
1606 - Descript Benearniae et Bigorniae in Aquit
Sur cette carte en couleur de 1606 apparaissent le Royaume de Navarre, la Gascogne, le Béarn et la Bigorre. La position des villes au regard des cours d’eau est très approximative.
Des lieux de vie
Les fleuves s’emparent de tout, des montagnes où ils prennent leur source et qu’ils dévalent, des plaines dans lesquelles ils s’étalent et qu’ils façonnent de leurs méandres, des estuaires dans lesquels ils mêlent leur eau douce à celles salées des mers ou océans. Autant de paysages traversés, autant de lieux et modes de vie. L’homme s’adapte au fleuve, l’apprivoise et le domestique pour répondre à ses projets de vie. Il travaille à ses côtés car le fleuve, nourricier, amende ses terres et le fournit en poissons ; il habite le long de ses rives ou sur les hauteurs qui les bordent ; il installe des ports dans lesquels il construit bateaux de fleuve et navires de mer pour transporter hommes et marchandises, commercer ou faire la guerre.
1628 - Carte topographique des costes maritimes
Cette carte topographique de 1628, dont le nord est à gauche, indique fleuves et rivières, caps, ports, havres et boucaux de la “côte de l’une et de l’autre Biscaye” depuis Saint Sébastien jusqu’à Saint Paul (actuel Saint Paul en Born). On y repère l’Adour et quelques-unes de ses îles ; les paroisses aux abords de ses rives : Saint Esprit [St Espritc], Saint Etienne [St Estienne] (rive droite), l’Abbaye de Lahonce [La Honce] rive gauche. En aval de Bayonne, l’embouchure et l’ancien lit côtier du fleuve. Au nord de l’Adour, dans le Marensin, les cours d’eau « courants » débouchent dans l’océan par les boucault.
Au sud, la Nive (Bayonne), la Moulie (Biarritz [Biarys]), l’Uhabia (Bidart [Bidar]), la Nivelle (Saint-Jean-de-Luz [St Jean du lus], Ciboure [Siboure]), la Bidassoa (Hendaye [Andaye]) et l’Urumea (Saint Sébastien). Caps, rades et ports, ponctuent la côte de Navarre et de Gipuzkoa.
1638 - Gouvernement de Bayonne
Cette carte du “Gouvernement de Bayonne” de 1638, très schématique, indique le nord à droite. Elle présente le territoire autour de la confluence Adour-Nive. Au sud de l’Adour, la Nive est bordée par les paroisses d’Ustaritz [Euztaritz], Larressore [Le Rossar], Cambo [Cambe], ainsi qu’Hasparren [Hasparin] ; la Nivelle avec à l’embouchure Saint-Jean-de-Luz et Ciboure [Suiboure] et, en amont, Saint-Pée-sur-Nivelle [S.Pere], ainsi que Sare [Sara] et le quartier d’Amotz [Ammotz]. Au nord de l’Adour, l’ancien lit résiduel du fleuve avec Saint Matan (Saint Martin de Seignanx ?) et Capbreton.
1638 - Carte du siège de Bayonne
Cette carte de 1638 décrit le domaine de chaque siège présidial (domaine d’action des tribunaux) au travers des fleuves qui composent les territoires. La partie « basque » de la carte souligne les implantations des villes autour de la Bidassoa (Hendaye, Fontarrabie, Irun), la Nivelle (Saint-Jean-de-Luz, Ciboure, Ascain, Saint-Pée-sur-Nivelle, Souraïde, Ainhoa, Zugarramurdi, Urdax), l’Uhabia (Bidart, Arbonne, Ahetze), la Nive (Bayonne, Saint-Pierre d’Irube, Bassussarry, Ustaritz, Larressore, Halsou, Cambo, Itxassou….), l’Adour (Bayonne, Mouguerre, Lahonce, Urcuit, Urt, Guiche…), l’Aran (La Bastide-Clairence, Ayherre, Luxe) ou la Bidouze (Guiche, Bidache, Came, Bergouey, Garris, Saint-Palais…)
A noter que le siège de Bayonne englobe l’ancien lit de l’Adour et la ville de Capbreton.
1639 - Biscaia et Guipuscoa
En Gipuzkoa, les villes et villages sont situés essentiellement aux abords des fleuves Bidassoa, Oiartzun, Urumea, Oria, Urola et Deba. Bilbao apparaît également sur l’Ibaizabal.
La navigation
Les fleuves servent au déplacement des hommes et au transport de marchandises. Si l’Adour a été navigable jusqu’à Aire sur Adour, elle ne l’est plus aujourd’hui que jusqu’à la confluence Adour-Gave. La Nive jusqu’à Ustaritz, La Nivelle jusqu’à Ascain. Des chemins de halage longent parfois encore ces anciennes portions de cours d’eau navigables.
Les deux cartes datées de 1610 sont exceptionnelles.
1610 - Plan du cours de l'Adour
Orientée (le nord est en haut), cette carte est exceptionnelle pour ce qu’elle nous montre de la navigation sur l’Adour. Trois espaces s’en dégagent. En amont du fleuve au pied du pont de Dax sept embarcations sont amarrées perpendiculairement aux deux rives. Il s’agit de bateaux de transport de marchandises ou de pêche, Dax ayant été jusqu’au XIXème siècle un port d’embarquement et débarquement de marchandises dont le bois, la résine et le vin. Entre le pont de Dax et celui, en aval, de Saint-Esprit face à Bayonne, onze embarcations fluviales remontent le fleuve. Propulsés par des rameurs ou aidés d’une voile, ces bateaux s’apparentent à la batellerie fluviale et pourraient bien évoquer les chalands et tilholes courants à cette époque. En aval de Bayonne on observe cinq navires de haute mer, reconnaissables à leur gaillard et dunette arrière (partie surélevée). Quelques-uns remontent le fleuve aidés d’une chaloupe, d’autres sont en attente au large de l’arrivée du pilote qui semble se diriger vers eux.
1610 - Plan du cours de la rivière et terrain depuis Naguille
Ce plan orienté le nord en bas, le sud en haut, l’ouest à droite et l’est à gauche et représentant la chaîne des Pyrénées donne l’impression que le dessinateur était en hauteur et surplombait la ville de Bayonne. La navigation y est intense. Bateaux de haute mer en aval du pont, batellerie fluviale en amont. On peut, ici aussi, identifier les embarcations. Des chalands et tilholes reconnaissables à leur forme et modes de propulsion. Les chalands, pointus à l’avant et à l’arrière, étaient utilisés pour se déplacer sur le fleuve ou pour la pêche (non identifiable ici) ; les tilholes, pointues à l’avant et plates à l’arrière étaient principalement utilisées pour la pêche ou le transport de produits non pondéreux. Cette illustration évoque bien l’importance et la diversité des modes de navigation à l’époque où la voie fluviale est plus rapide que la voie terrestre.
Progressivement, la manière de faire les cartes va changer. Les méthodes triangulation notamment, vont permettre de s’affranchir des points de repères forcées qu’étaient les fleuves. Les transports vont également évoluer et des routes ou des voies ferrées se créent indépendamment des reliefs et des vallées. Faire apparaitre les fleuves sur les cartes devient moins stratégique.
Sur l'auteur
Sophie Lefort est guide-conférencière Ville d'art et d'histoire / Office de Tourisme de Bayonne, Docteur en Histoire (Université de Pau et des pays de l'Adour)