Thématique

Les fleuves naissent de la terre qu’ils traversent. Chemins d’eau, ils structurent l’espace, délimitent des territoires et deviennent parfois frontières. Nourriciers, les fleuves attirent les populations qui s’installent sur leurs rives, ils transportent hommes et marchandises jusqu’au point de jonction avec le grand large que sont les estuaires et leur port. Y naviguer nécessite une batellerie diversifiée adaptée aux lieux, aux usages. Essentiel à la vie quotidienne, point de repère, le fleuve est dessiné, cartographié.  

Des repères immuables

Sur les cartes anciennes, la représentation des fleuves est incontournable. Structurant le paysage, les fleuves délimitent des espaces, sont points de repère.

11e siècle - Beatus a Liebana

Beatus a Liebana est un moine du nord de la Péninsule Ibérique qui vécut dans la seconde moitié du VIIIème siècle. On lui attribue le « Commentaire à l’Apocalypse » d’où est extraite la « Mappa mundi »  présentée ici. Plusieurs copies de ce manuscrit ont été réalisées dont une commandée par Grégoire de Montaner pour l’Abbaye de Saint-Sever dans les Landes vers 1060.

Le Beatus de Liebana place la « Wasconie » entre la Garonne (fl. Garronna) et les Pyrénées. La « Wasconie » est traversée par un fleuve, l’Adour, repère au bord duquel l’abbaye de Saint-Sever occupe une place importante. 

Des lieux de vie

Les fleuves s’emparent de tout, des montagnes où ils prennent leur source et qu’ils dévalent, des plaines dans lesquelles ils s’étalent et qu’ils façonnent de leurs méandres, des estuaires dans lesquels ils mêlent leur eau douce à celles salées des mers ou océans. Autant de paysages traversés, autant de lieux et modes de vie. L’homme s’adapte au fleuve, l’apprivoise et le domestique pour répondre à ses projets de vie. Il travaille à ses côtés car le fleuve, nourricier, amende ses terres et le fournit en poissons ; il habite le long de ses rives ou sur les hauteurs qui les bordent ; il installe des ports dans lesquels il construit bateaux de fleuve et navires de mer pour transporter hommes et marchandises, commercer ou faire la guerre.

1628 - Carte topographique des costes maritimes

Cette carte topographique de 1628, dont le nord est à gauche, indique fleuves et rivières, caps, ports, havres et boucaux de la “côte de l’une et de l’autre Biscaye” depuis Saint Sébastien jusqu’à Saint Paul (actuel Saint Paul en Born). On y repère l’Adour et quelques-unes de ses îles ; les paroisses aux abords de ses rives : Saint Esprit [St Espritc], Saint Etienne [St Estienne] (rive droite), l’Abbaye de Lahonce [La Honce] rive gauche. En aval de Bayonne, l’embouchure et l’ancien lit côtier du fleuve. Au nord de l’Adour, dans le Marensin, les cours d’eau « courants » débouchent dans l’océan par les boucault

Au sud, la Nive (Bayonne), la Moulie (Biarritz [Biarys]), l’Uhabia (Bidart [Bidar]), la Nivelle (Saint-Jean-de-Luz [St Jean du lus], Ciboure [Siboure]), la Bidassoa (Hendaye [Andaye]) et l’Urumea (Saint Sébastien).  Caps, rades et ports, ponctuent la côte de Navarre et de Gipuzkoa.

La navigation

Les fleuves servent au déplacement des hommes et au transport de marchandises. Si l’Adour a été navigable jusqu’à Aire sur Adour, elle ne l’est plus aujourd’hui que jusqu’à la confluence Adour-Gave. La Nive jusqu’à Ustaritz, La Nivelle jusqu’à Ascain. Des chemins de halage longent parfois encore ces anciennes portions de cours d’eau navigables.

Les deux cartes datées de 1610 sont exceptionnelles.

1610 - Plan du cours de l'Adour

Orientée (le nord est en haut), cette carte est exceptionnelle pour ce qu’elle nous montre de la navigation sur l’Adour. Trois espaces s’en dégagent. En amont du fleuve au pied du pont de Dax sept embarcations sont amarrées perpendiculairement aux deux rives. Il s’agit de bateaux de transport de marchandises ou de pêche, Dax ayant été jusqu’au XIXème siècle un port d’embarquement et débarquement de marchandises dont le bois, la résine et le vin. Entre le pont de Dax et celui, en aval, de Saint-Esprit face à Bayonne, onze embarcations fluviales remontent le fleuve. Propulsés par des rameurs ou aidés d’une voile, ces bateaux s’apparentent à la batellerie fluviale et pourraient bien évoquer les chalands et tilholes courants à cette époque. En aval de Bayonne on observe cinq navires de haute mer, reconnaissables à leur gaillard et dunette arrière (partie surélevée). Quelques-uns remontent le fleuve aidés d’une chaloupe, d’autres sont en attente au large de l’arrivée du pilote qui semble se diriger vers eux. 

Progressivement, la manière de faire les cartes va changer. Les méthodes triangulation notamment, vont permettre de s’affranchir des points de repères forcées qu’étaient les fleuves. Les transports vont également évoluer et des routes ou des voies ferrées se créent indépendamment des reliefs et des vallées. Faire apparaitre les fleuves sur les cartes devient moins stratégique.

Sur l'auteur

Sophie Lefort est guide-conférencière Ville d'art et d'histoire / Office de Tourisme de Bayonne, Docteur en Histoire (Université de Pau et des pays de l'Adour)