« La géographie, en introduisant des précisions de type spatial sur les lieux, sur les provinces et les circonscriptions, sur les limites, est garante d'une meilleure lisibilité du récit historique, d'une plus grande intelligence des faits du passé ». (Nordman-2018)
Introduction
Les cartes sont indispensables à ce raisonnement géographique. Elles donnent accès aux mondes réels ou imaginaires, suscitent espoirs ou peurs, incitent à l’esprit d’aventure ou de réflexion, pour ceux qui les lisent. Elles éclairent aussi sur les cosmologies1 des civilisations2, autant qu’elles informent des réalités géophysiques. Elles participent ainsi à la création d’ouvrages géographiquement ordonnés appelés « Cosmographies », inventaires des phénomènes naturels et des sociétés humaines.
Quand elles sont cartes de revendications sociales et politiques, elles indiquent la suprématie des puissances par le contrôle des possessions ou provinces sous leurs contrôles. Elles n’ont pas été établies par des théoriciens, mais par des géomètres de terrain, des ingénieurs du Roi ou de la République, des officiers de marine, des marchands, des explorateurs, des officiers de la “coloniale” ou des géodésiens militaires. Ceux-ci ont accompagné leurs travaux d’inventaires géographiques détaillés des régions et des pays (populations, richesses économiques, tribus, royaumes) selon les besoins que les autorités leur imposaient. Tout cela ne pouvait être réalisé que par de grands appareils d’État.
La fonction des cartes fut d’abord le renseignement destiné aux ordres monastiques, aux familles féodales, aux militaires et aux marchands. Leur diffusion est ainsi restée confidentielle. La fonction touristique est relativement récente (1840) avec l’arrivée massive d’étrangers venus visiter les vallées et la Côte Océanique. Mais ce sont ces dits touristes qui ont fait décoller les publications, les diffusions et les ventes.
Le fonds cartographique du Pays basque
Contexte d’élaboration des cartes
Le Pays basque basque nord ou sud possède une cartographie historique riche et luxuriante. Plusieurs raisons historiques, géographiques, économiques ou géopolitiques expliquent cette exceptionnelle abondance.
- La création du Royaume de Navarre,
- la possession anglaise et la période gasconne,
- les ordres religieux et leurs Beatus3,
- les périodes d’assimilation par la France et la Castille,
- la position privilégiée d’un passage Nord-Sud en Europe,
- la création de la frontière des Etats-Nations,
- les guerres successives sur les cinq derniers siècles,
- le développement du commerce maritime à grande échelle,
- l’essor de la pêche,
- l’avènement du tourisme dès son apparition,
- les échanges économiques des deux côtés des Pyrénées,
- les aménagements des embouchures des trois fleuves (Adour-Nivelle-Bidasoa) sur l’Océan,
- les fortifications et citadelles militaires,
- les infrastructures de toutes sortes,
- la mise en place de la propriété individuelle,
Toutes ces réalités ont nécessité la création de milliers de documents graphiques, dessinés selon les moyens techniques usités à chaque époque et s’améliorant au gré des progrès des mathématiques et du matériel de lever disponible, sans oublier la suppression des interdits religieux, philosophiques ou politiques qui ont souvent pipé les données des cartes.
Les régions les plus cartographiées
Statistiquement les régions du Pays Basque Nord les plus cartographiées furent :
-
Bayonne et l’Adour ;
-
Hendaye dans sa confrontation avec Hondarribia et Irun sur la Bidasoa ;
-
La côte atlantique et le littoral pour les navigateurs, puis pour les touristes ;
-
la baie de Saint-Jean-de-Luz pour l’aménagement de ses digues protectrices ;
-
les forts ou citadelles militaires dont ceux de St Jean Pied de Port et de Bayonne;;
-
La zone indivise de la montagne des Aldudes (Quinto Real) et la vallée de Baigorri offrent une documentation variée, suite aux revendications successives sur la fixation de la frontière.
Les fonds numérisés
Chercher ces cartes anciennes de nos jours peut s’assimiler à un jeu de piste, tant les institutions ont mis à disposition du grand public, d’innombrables documents numérisés.
Les mots-clefs « pyrénées, pirineos, vasco, navarra, pays basque, biscaye, océan atlantique, maps, carte, mapa, cartotheca, cartothèque, bayonne, bidasoa, cantabria, basses pyrénées, pyrénées atlantiques, etat major, cadastre, … » constitueront un corpus cohérent et utile pour des recherches sur les serveurs du Net, dédiés à la cartographie ancienne, incluant des cartes d’Euskal Herria.
Nous pouvons citer les plus remarquables:
- Bilketa
- Bibliothèque nationale de France
- Gallica
- BDH-RD.BNE
- Barry Lawrence Ruderman Antique Maps
- Archives générales de Simancas
- David Rumsey Historical Map Collection
- Cartoteca de Catalunya
- Pireneas
- Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
- Archivo General Militar de Madrid
- Biblioteca Navarra Digital
- AGCGE: Archivo General del Cuartel General del Ejército
- Biblioteca Virtual de Defensa
- Médiathèque de Bayonne
- Biblioteca Virtual del Patrimonio Bibliográfico
- dokuMeta - Gipuzkoako Foru Aldundiko Biltegi Digitala
- Biblioteca Digital Hispánica
- Collège de France
- Portal de Archivos Españoles
- FranceArchives
- Europeana
- Biblioteca Nacional de España
- Catálogo colectivo de la red de bibliotecas de los archivos estatales
- Wikipedia
- Library of congress
- Géoportail
- Overnia
- 1886 - Université Bordeaux Montaigne
- Biblioteca Virtual de Aragón
- Gobierno de Extremadura
- etc.
Ils vous ouvriront les portes d’infinies prospections. (5 à 6000 notices sont disponibles concernant le Pays Basque Nord)
Parcours historique du fonds
Le présent paragraphe, très synthétique, se veut un rapide coup d’œil sur les étapes qui ont balisé la cartographie de nos trois provinces, Labourd, Basse Navarre et Soule.
Il faut distinguer, par leur fonction, deux types différents de cartes, selon les époques, traitant du Pays Basque Nord : les cartes de renseignements généraux et les cartes d’inventaire général.
Les cartes de renseignements généraux
Les cartes de renseignements généraux sont des cartes non régulières, sans possibilité de mesurage, ni caractérisation précise.
La carte d’Abauntz 10000 avJC
La première « carte » qui a été élaborée en Pays Basque, fut la carte d’Abauntz, en Navarre, en 9818 av. J.-C. C’est une série de gravures sur trois pierres, représentant la géographie des alentours de la grotte et des plans de chasse aux gibiers. Une reproduction est entreposée au musée de Pampelune/Iruñea.
La carte de Ptolémée 150 apJC
Cette carte issue du Guide géographique (127/155 apJC) de l’astronome et géographe grec, originaire d’Egypte, fut élaborée avec l’innovation révolutionnaire de projections coniques et pseudo coniques, capables de définir en latitude et longitude, tout point de la Terre. Malgré ses erreurs, elle resta opérationnelle pendant 16 siècles jusqu’à sa reprise par des mathématiciens/géodésiens/géomètres/géographes/ ayant bâti des modèles de projection plus adaptés à la rotondité terrestre. Ptolémée avait pris conscience que la projection d’une surface ronde sans déformations, sur une feuille plane était la clef de la précision des cartes.
La carte de Mercator (1585)
Elle amorce le début d’une écriture sur les cartes mieux référencées, plus précises, où la toponymie et les évolutions territoriales apparaissent. Il faut dire que du XVIème au XIXème, la géographie des Etats Nations se trouve en constante évolution.
Les villes, les routes, les ports subissent des aménagements permanents. Les expansions conjuguées de la population, de l’industrie, des territoires défrichés imposent de nouvelles réaffectations territoriales. Les guerres et les routes commerciales imposent une nouvelle vision de l’information géographique.
Le siècle d’or de la cartographie néerlandaise (1570-1705)
La naissance d’un vaste empire commercial hollandais, né de la lutte contre l’Espagne, au XVIIe siècle, fait que ce pays règne sur la quasi-totalité des mers. La « Cosmographie » de Blaeu restera la plus importante entreprise de publication cartographique au XVIIème. « Elle est l’œil et la lumière de l’Histoire ».
La qualité de la gravure a haussé les cartes jusqu’à un niveau qui va s’améliorer tout au long des siècles à venir. Les progrès observés sont suscités par la compétition opposant les familles Hondius et Blaeu, établies à Amsterdam, et par l’invention de l’imprimerie à grands tirages comme celle de Bloemgracht.
Outre Blaeu et Hondius, on peut citer des éditeurs préconisant plus le contenu que le contenant, De Witt, Ortelius, Van Doetecum, Janssonius, Huych Allard, Van Hamersveldt, Luyts, Waghenaer, Hoefnagel, Matalius, Kaerius Caelavit, Van den Hoeye, Plancius, ….
Coté français, La Guillotière, Sollon de la Fitte, Mortier, Sanson d’Abbeville, De L’Isle, De Vaugondy, Bellin, Bonne, Capitaine, de Fer, l’abbé Raynald, Chanlaire, Brion de la Tour, de Grandpré, Tourros, De Beaulieu, Classun, Tavernier, Du Val, Jaillot, etc.… ont emboité le pas.
De Trudaine fut missionné pour la représentation de la route impériale de Bayonne à Urkulu et de Bayonne à Hendaye.
Coté espagnol, il faudra compter sur Pedro de Esquivel, Juan de Lavanha, Juan de Herrera et Tomás Mauricio López de Vargas Machuca dit Tomas Lopez, Francisco Lorenzana, Francisco Nande, Tofino,… qui assureront l’aventure cartographique.
L’existence d’une cartographie italienne peut être considérée comme marginale. Gastaldi, Braunio, Agrippinate, Simeoni, …
Tous ces cartographes ont, à un moment donné, gravé des plans entiers ou partiels des provinces basques.
Les cartes d’inventaire général
Les cartes d’inventaire général sont des cartes régulières, reposant sur une triangulation géodésique avec un inventaire des objets paysagers tels maisons, cours d’eau, végétations, monuments, bornes…
Roussel-La Blottière (1730)
« Carte des Monts Pyrénées et partie des Royaumes de France et d’Espagne », œuvre d’un ingénieur géographe, Roussel, associé à un ingénieur des fortifications, La Blottière. Publiée en 1730, elle est le résultat de presque 15 ans de travaux et se présente sous la forme d’un assemblage de 8 feuilles, à l’échelle au 1:216 000. Toutefois, le résultat final fut alors jugé décevant car la représentation du relief s’avère totalement déficiente, les auteurs utilisant la perspective dite « cavalière », à savoir des séries de buttes accolées, sensées matérialiser reliefs et modelés. Enfin, cette carte surreprésente les vallées et les cols, ce qui est alors très courant pour les cartographes militaires : en zone de montagne, leur intérêt porte en priorité sur la possession des cols, dans une optique de défense ou d’attaque.
La carte Cassini (1760-1815)
Le premier document digne de ce nom est la carte dite « de Cassini », réalisée à la demande du roi Louis XV à l’échelle du 1/86 400.
Ce document synoptique se distingue des travaux précédents par l’adoption de la triangulation qui a permis un levé d’ensemble du Royaume (Pelletier, 2002), offrant pour la première fois la possibilité d’inventorier des objets paysagers à l’échelle de la France, mais cette carte est inappropriée pour toute étude comparative directe car le système de projection employé est totalement différent de celui des cartes topographiques actuelles.
Néanmoins, même si les localisations sont plus ou moins hasardeuses, la carte de Cassini reste le support d’un inventaire général.
Les résultats issus du traitement de la carte de Cassini vont ouvrir de nouvelles perspectives règlementaires en termes d’impôts, mais surtout vont favoriser les conflits d’intérêts entre classes (noblesse, clergé, bourgeoisie, paysannerie, propriétaires terriens) ou entre courants de pensée (hygiénistes, tenants de la céréaliculture, pisciculteurs, sylviculteurs…).
C’est dans ce contexte particulier que des inventaires furent effectués. La réalisation de la carte de Cassini fut précédée d’opérations géodésiques rendues possibles par les progrès de la mesure du globe. En 1744, 3 000 points, connus d’après des observations astronomiques en coordonnées géographiques et reliés entre eux, formaient un « canevas géométrique », une vaste toile d’araignée sur laquelle allaient pouvoir s’accrocher les relevés de détail de la carte dite Cassini IV.
La carte des Limites (1786)
C’est l’œuvre des militaires, sous la direction de D’Ornano et Ventura de Caro, plénipotentiaires, au 14 400ème, au relief accentué par un éclairage oblique, en teinte verte pour les régions cultivées. « La méthodologie pour déterminer la séparation entre les deux versants n’était pas actée, seul le recours « à la bonne foy » étant stipulé… Dans les faits et sur le terrain se posait donc la question d’une délimitation frontalière reposant sur la ligne de séparation des eaux, entre les versants nord (français) et sud (espagnols). Or, un tel recours s’avérait bien embarrassant, tantôt favorable aux Français (tels le Val d’Aran, les vallées andorranes ou encore la vallée des Aldudes, tous territoires situés en versant nord), tantôt aux Espagnols, en particulier en ce qui concerne la Haute-Cerdagne annexée en 1659 et le vaste massif forestier d’Iraty ». (Puyo- García Álvarez -2016). Elle repose sur la triangulation Junker/Heredia.
Pasajes - Ordax / Yanci - Saint-Jean-Pied-de-Port / Eugui - Ochagavia / Saint-Michel - Mont Ori - Lacuaga / Ustaroz - limites avec l’Aragon sont les cinq cartes d’intérêt majeur dans lequel le Pays Basque est dessiné avec précision.
En savoir plus: une frontière pour les pyrénées : l’épisode trop méconnu de la commission topographique franco-espagnole Caro-Ornano (1784-1792), par Jean-Yves Puyo (Université de Pau et des Pays de l’Adour - laboratoire PASSAGES (UMR 5319) et Jacobo García Álvarez (Universidad Carlos III de Madrid).
Le Cadastre napoléonien (1808-1850)
Le cadastre parcellaire de 1807, aussi appelé « cadastre napoléonien » est le premier document cartographique précis réalisé sur l’ensemble de l’Hexagone. Il impose le système décimal, le mètre et la mesure des surfaces multiples du centiare (ou m2). Des milliers de toponymes, résultat d’enquêtes de terrain, représentèrent l’état nominatif de l’utilisation par les « gens du peuple ». Il impose le système juridique qui entoure la propriété individuelle ou collective en créant la notion d’ « opposabilité aux tiers ». « Classer les objets ou les réalités de la vie sociale en quelques catégories bien distinctes afin de faciliter l’action de l’Etat » (Legaz-2008) constitue la vertu première de cette entreprise. Le Cadastre est un document cartographique utilisable à l’échelle régionale ou locale. Le Pays Basque n’échappe pas à cette règle.
La loi du 15 septembre 1807, complétée par un règlement impérial du 27 janvier 1808, met alors en place un nouveau dispositif s’appuyant sur les limites parcellaires, levé selon les méthodes de l’arpentage. Les plans sont censés être réguliers (mesurage incertain). Ils s’appuient sur les méthodes de calcul de Prony. Est ainsi définie comme parcelle « toute portion de terrain non divisée par des séparations matérielles, située dans un même canton, triage et lieu-dit, présentant une même nature de culture et appartenant à un même propriétaire ». Cette loi s’accompagne de moyens importants mis à la disposition des géomètres. Cependant, l’immensité de la tâche et le peu d’individus susceptibles de la remplir font que cette entreprise fut extrêmement longue : le premier Cadastre est ainsi daté de 1808 et le dernier de 1850.
Le cadastre « napoléonien » se compose alors d’un tableau d’assemblage, d’un plan parcellaire, d’un état de section et d’une matrice cadastrale. Le tableau d’assemblage présente une vue générale du territoire communal. L’échelle n’est pas fixe et varie en fonction de la taille de la commune, la contrainte étant de faire tenir l’ensemble de la commune sur une feuille (du 1/5 000 au 1/20 000). Le plan parcellaire est établi par commune : selon la taille de la commune, il distingue un certain nombre de sections, elles-mêmes décomposées cartographiquement lorsque les besoins l’exigent. Il représente le découpage des parcelles aussi bien au niveau agricole que bâti, fait ressortir sous forme de codes couleur, terre, forêt et eau, permettant leur identification. L’échelle d’étude sur un même plan varie entre les plans au 1/500 (ville), au 1/2000 (campagne-moyenne montagne), au 1/5000 (montagne).
Établi sur la période 1807-1846, le département des Basses Pyrénées comporte 7500 plans précis, dont 3000 environ pour le Pays Basque.
La carte d’Etat Major (1825-1862-1891)
Elle parachève l’œuvre cartographique du XIXème. Ses objectifs sont militaires et administratifs. Débutée en 1825, elle se termine en 1862. Outre le théodolite au 10 000ème de portion d’angle, le nouveau matériel utilisé est la planchette, le niveau à fiole rodée, la règle à éclimètre, la boussole nivelante. L’échelle de levé est le 10 000ème et les zincs support sont gravés aux 80 000ème ou 50 000ème. Elle fut rénovée par galvanoplastie en 1889.
En 1891, une révision s’imposa du fait de la création des routes départementales et des voies ferrées.
Elle fixa, avec ses insuffisances et ses oublis, la toponymie actuelle.
Conclusion
Les cartes historiques, au même titre que les écrits, les monuments, les coutumes, les traditions, les mythes, doivent s’apprécier comme un marqueur de la mémoire collective des Basques. Elles constitueront la meilleure garantie de la lisibilité du récit historique, et un éclairage intelligent des faits du passé.
Sur l'auteur
Beñat Auriol est géomètre topographe cartographe retraité, instructeur “cartographie” de la FFME, président de l’association Auñamendi, Bayonne-Baiona, 2023/09/18
Notes
1 Une cosmogonie est un récit mythologique qui décrit ou explique la formation du Monde. (Ex. : les cartouches des cartes marines).
2 Cosmologie : ensemble plus ou moins cohérent de représentations portant sur la forme et la dynamique de l’Univers.
3 Les Beatus sont des manuscrits ibériques des Xe, XIe et XIIe siècles, plus ou moins abondamment enluminés, où sont copiés notamment les Commentaires de l'Apocalypse rédigés au VIIIe siècle qui comprennent généralement une ou des mappemondes.
4 nota : la cosmogonie se distingue de la cosmologie, qui est l'étude scientifique relative à l'origine du monde et de l'univers et surtout aux lois qui les gouvernent.